Une écriture de la nudité, érotique et spirituelle 

 

(Communication au colloque « Pierre-Albert Jourdan » des 6 et 7 février 2014, actes à paraître aux Editions Aden en février 2015)

 

        Il m'a semblé, relisant les ouvrages de Pierre-Albert Jourdan et le livre où j'ai partagé naguère l'essentiel de ce que j'en comprenais, que j'y avais insuffisamment mis en lumière la relation très forte que je sens, dans l'oeuvre de Jourdan, entre la recherche spirituelle, l'élan érotique et le mouvement de l'écriture. J'ai donc eu envie de préciser cette question, je crois centrale, et d'éclairer la place du corps, sensuel autant que sensible, et celle du désir et de la jouissance, dans la présence au monde continue que l'écriture pour lui m'a paru vouloir, non seulement décrire mais essayer de soutenir.

        Et le fil conducteur de la « nudité » s'est alors imposé, tant ce terme est fréquent, et tous ceux de la même famille (« nu », « se dénuder », « dénudation », ... ), au long des écrits de Jourdan. Et tant ils y concernent l'ensemble de son expérience et de sa recherche, s'appliquant tour à tour à son corps et au paysage, à la qualité de la rencontre avec celui-ci et au mode de regard permettant cette qualité, enfin à l'écriture. Si bien que toute la quête de présence de Pierre-Albert Jourdan pourrait être décrite à mon sens comme l'aspiration à une « nudité » intérieure qui lui permette de coïncider pleinement avec son corps « mis à nu », bien au-delà et plus profondément que par la simple absence d'habits physiques, par un effort de « dénudation », notamment à travers l'écriture, des nombreux vêtements affectifs et mentaux qui voilent son ouverture sensible, sensuelle ou érotique, et, de plus en plus, spirituelle, au monde et à autrui.

 

        Ce que Jourdan écrit de la « nudité » témoigne que la dimension érotique, même au sens le plus strict de l'attirance vers la femme, si présente dans les collages surréalistes qu'il a réalisés autour de 1950 mais largement gommée ensuite dans ses poèmes et fragments, n'a pas disparu pour autant de ses préoccupations – ce dont suffirait à se convaincre un regard dans la bibliothèque de Caromb, où jusqu'à ses dernières années de nouveaux ouvrages sur Balthus ou les photographies de David Hamilton sont venus rejoindre les numéros de la revue américaine Nude studies qu'il découpait pour ses collages, les Nus de Weston, Corps mémorable de Lucien Clergue, l'intégralité de Bataille ou de Jouve et de nombreux livres des éditions Pauvert.

        Bien plus, Pierre-Albert Jourdan apparaît nettement par là ne pas souhaiter mettre l'érotisme à l'écart ou à l'extérieur de sa recherche intérieure dans l'écriture, mais l'y intégrer pleinement, voire lui donner une place essentielle, contrairement à ce que pourrait laisser supposer sa relative discrétion – car il ne cite jamais, malgré l'abondance d'allusions à ses autres lectures, tous ces artistes ou écrivains, et lui-même a écrit ou laissé peu de textes sur l'érotisme humain, et sur la femme (quelques poèmes anciens évoquant des étreintes souvent champêtres, « Nuit », « Traversée d'Éros », « La combe des moulins »... ; une « très belle scène d'amour dans les collines », d'après Gilles Jourdan, en 1967 dans le roman Le Ciel des disparus, que je n'ai pas lu ; une grande partie de l'Ebauche d'un paradis perdu en 1969-72 ; quelques fragments, plutôt de réflexion).

        Et, en même temps, cette aspiration à la « nudité » donne à l'érotisme un sens plus large et plus vaste, n'isolant pas la sexualité humaine de l'approche plus globale du monde sensible, d'autrui et de la vie. D'une façon qui, au départ, rejoint sans doute certaines préoccupations de René Char – Jourdan a achevé et nommé son recueil Le Chemin nu (Poèmes 1956-1968) à l'époque où Char écrivait Le Nu perdu, dont il a publié dans Critique un commentaire regrettant que « le travesti l'[ait] emporté sur la nudité, l'essentielle nudité, la transparence ». Mais la tonalité est autre, plus pudique – même si Pierre-Albert Jourdan évoque nettement « le double attachement » (BA 315), le double élan vers la femme et vers la terre, la parenté ou l'analogie et le prolongement ou les interactions entre l'un et l'autre mouvement – mais aussi plus fragile, avec une profonde conscience et souffrance des limites et des paradoxes du désir. Et, de plus en plus, avec une dimension spirituelle nette qui le rapproche, surtout, du tantrisme tibétain ou shivaïte.

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[P.- A. Jourdan - Présentation]

[P.-A. Jourdan - Vie et oeuvre]

[La recherche de Jourdan]

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[Extraits]

[Bibliographie]